Alban Turquois

C’est peut-être par le besoin de percer des énigmes et de raconter des histoires que le travail d’Alban Turquois peut se comprendre. En explorant autant la céramique que les matières vivantes, son approche sculpturale quasi-paradoxale, oscille entre l’installation domestique et l’objet usuel. Dévoilant tantôt un profond processus de rencontres, tantôt un désir de retenue. Influencées par le design contemporain, les arts populaires et décoratifs, ses pièces révèlent avec discrétion d’une attention portée au quotidien, à la sensorialité des matières, au traitement des surfaces. Qu’il s’agisse de contenants, d’assises, de table de travail, d’étagères, tout est prétexte pour apprendre et faire, par des expressions ouvertes entre un geste ancestral et un autre expérimental. À cela s’ajoutent, quelques récits supplémentaires, la collaboration avec d’autres artistes et artisan·es, les échanges amicaux, la superposition d’histoires, la recherche encyclopédique, le recyclage de souvenirs, des techniques qu’il invente, faisant coexister plusieurs lectures possibles de son travail. En concentrant à la fois la rondeur d’une intimité à la profonde ouverture à l’autre, les pièces que conçoit Alban Turquois semblent tourner sur elles-mêmes. 


D’ailleurs, sa fascination pour la métamorphose d’éléments organiques en formes utilitaires, sa malice pour la déconstruction, la construction et la reconstruction, d’anciennes pièces en nouvelles, l’accompagnent dans ce segment flou, à la croisée de l’art et de l’artisanat. En témoigne par exemple, Ce matin l’étain m’atteint (2021) un tabouret en métal gris argenté coulé dans le sable, à partir de sculptures en étain qu’il réalise et refond, en hommage au travail du designer Max Lamb. À la manière d’un rébus, de façon naïve et spontanée, l’artiste y dessine la mémoire des formes disparues et contenues dans l’objet lui-même, transformé pendant quatre ans. D’un trait incisif, il vient graver ces rencontres. Ou encore Conversations (2021), une chaise modulable qui fait apparaitre et disparaitre l’autoportrait de l’artiste, une fois les éléments démontés, puis rassemblés entre eux. À l’image de la nature en renouvellement permanent, le processus d’Alban Turquois interroge l’existant. 


Désireux de brouiller les repères, le sculpteur inscrit autant sa recherche dans l’héritage d’artistes conceptuels comme Simon Starling qui explore les projections mentales par la transformation d’objets, que de Valentine Schlegel, sculptrice et céramiste, pour ses collaborations avec d’autres artistes et artisan.es et ses réalisations d’éléments architecturaux en plâtre, dont une cheminée sculpturale fabriquée spécifiquement pour y poser ses vases en céramique. C’est en ce sens que la pratique de l’artiste, façonne des coins à vivre, où œuvre, objet et mobilier se confondent et se revendiquent comme des sculptures autonomes. 

Texte de Anne-Laure Lestage


Alban Turquois façonne les choses au fil d’un apprentissage digne des compagnons du devoir. Né en 1996 à Cannes, il entame des études artistiques à Lyon, Nantes puis Strasbourg à la Haute École des Arts du Rhin, avant de préciser cette année sa formation à l’Institut Européen des Arts Céramiques de Guebwiller. Sa pratique encyclopédique s’aiguise au contact d’autres artistes et d’artisans, nourrie par la grande curiosité du sculpteur pour les matériaux, et pour l’intelligence et l’histoire de leur mise en forme.

Texte de Joël Riff